Dans le secteur public, injonctions contradictoires et changements de cap constants fragilisent la capacité des managers à tenir une ligne claire — au détriment de l’engagement collectif.
Le courage managérial est souvent perçu comme une qualité individuelle : la capacité d’un manager à tenir une ligne claire, assumer des décisions difficiles, affronter des tensions.
Mais dans le secteur public, cette compétence est structurellement plus complexe à exercer.

Les managers évoluent dans un environnement où les changements de cap sont fréquents, où la gouvernance évolue régulièrement, et où les orientations peuvent être révisées du jour au lendemain. Dans ces conditions, tenir une ligne constante ne dépend pas uniquement de la personnalité du manager, mais aussi du cadre politique et institutionnel qui l’entoure.
Or, la motivation et l’engagement des équipes sont étroitement liés à la qualité du leadership exercé sur le terrain. Lorsque ce leadership est étouffé ou atrophié par un courage managérial rendu plus difficile, c’est l’ensemble de la dynamique collective qui en pâtit : perte de lisibilité, démobilisation, désalignement entre discours et actions.
La question devient alors stratégique :
Peut-on sérieusement attendre mobilisation et performance dans le secteur public sans créer les conditions d’un courage managérial solide et soutenu ?
Les données qui parlent
Sur la base de 30 000 évaluations managériales réalisées avec le test MANAG-ER √3 d’Assess Manager, un écart net apparaît entre secteur privé et secteur public :
Non pas parce que les managers publics manqueraient de conviction ou d’engagement, mais parce que l’environnement institutionnel rend son exercice plus délicat : changements de ligne politique, alternances de priorités, injonctions contradictoires.
Dans ce contexte, les managers annoncent les nouvelles orientations en se tenant à distance de leur justification, faute de pouvoir en garantir la stabilité ou la cohérence. Peu à peu, ils glissent d’un rôle de leader à celui de simple coordinateur, relayant des décisions dont ils ne maîtrisent plus le sens.
Une gouvernance mouvante qui rend le courage plus difficile
Dans le secteur public, les managers sont souvent en première ligne pour porter des décisions qui peuvent changer brutalement de cap.
Un jour, ils défendent et appliquent une orientation avec conviction ; le lendemain, cette même politique est révisée, voire inversée.
Cette instabilité encourage une forme de prudence stratégique, où les prises de position franches sont limitées pour éviter d’être désavouées. Le courage managérial devient alors une ressource coûteuse, parfois risquée, souvent peu reconnue.
Des exemples concrets d’usure professionnelle
Ces revirements politiques ou stratégiques ne sont pas théoriques : ils se vivent au quotidien dans les administrations, avec des conséquences très réelles sur l’engagement et la posture managériale.
Réforme territoriale et défusion en Alsace
La fusion des Régions en 2015 a mobilisé des milliers d’agents et de managers pour harmoniser des organisations complexes. Quelques années plus tard, la création de la Collectivité européenne d’Alsace est venue défaire partiellement le travail accompli, entraînant de nouvelles réorganisations.
Restructurations hospitalières successives
Réforme du lycée et du baccalauréat
Lancée en 2018, cette réforme a été profondément modifiée à plusieurs reprises en cours de mise en œuvre : calendrier des épreuves, poids du contrôle continu, réintégration d’épreuves.
Des facteurs aggravants bien connus
- Culture de conformité forte : priorité aux règles sur l’affirmation individuelle.
- Reconnaissance limitée des actes de courage : peu valorisés dans les carrières.
- Environnements politique et syndical complexes, qui rendent chaque prise de position délicate.
- Poids des arbitrages collectifs : lignes souvent brouillées entre niveaux décisionnels.
Et vous, managers et collaborateurs du secteur public…
- Managers : comment parvenez-vous à incarner une ligne claire lorsque les orientations changent brusquement ?
- Collaborateurs : comment percevez-vous et vivez-vous ces revirements au quotidien ?
Leur courage n’est pas qu’une affaire de style personnel : c’est une ressource collective, au service de la clarté, de la cohérence et de la mobilisation.
Et si la réflexion devait aussi remonter au niveau politique ?
Au-delà des managers et des collaborateurs, cette problématique interroge aussi la responsabilité des décideurs politiques.
Les réformes successives sont souvent conçues dans des temps politiques courts, avec la volonté légitime de laisser une empreinte visible, parfois associée au nom d’un mandat ou d’un ministre.
Mais ces logiques, lorsqu’elles s’enchaînent sans stabilisation suffisante, peuvent fragiliser durablement la capacité managériale à incarner une ligne claire et stable.
Cette réflexion doit également inclure le rôle de l’opposition politique : dans un système où chaque alternance ou rapport de force tend à remettre en cause les politiques précédentes, la continuité administrative devient un défi majeur.
Il ne s’agit pas de juger les intentions politiques, mais d’ouvrir une réflexion essentielle :
Comment concilier le temps politique — souvent court et conflictuel — avec le temps managérial et organisationnel, qui exige stabilité, cohérence et continuité ?
Poser cette question, c’est reconnaître que le courage managérial dépend aussi du courage politique, de la majorité comme de l’opposition : celui de construire des transformations lisibles, soutenues dans la durée, au-delà des effets d’annonce ou des alternances.
En résumé
Dans le secteur public, le courage managérial est souvent pris en étau entre gouvernance fluctuante et culture de conformité.
Mais c’est précisément dans ces contextes qu’il devient un levier d’impact majeur — pour donner du sens, maintenir l’engagement et porter une direction cohérente.